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« Ceci est un concept! »

 

L’équipe de Réseau Psy à la recherche de sa philosophie de travail:

 

Cliquez ici pour lire le texte sous forme Flipbook (extrait du livre anniversaire de 2018)

 

En commençant ce travail de rédaction, nous avions l’impression de devoir mettre en mots de façon explicite ce que nous faisons de manière implicite dans notre pratique professionnelle quotidienne, et c’est un peu la même chose que de mettre en mots ce qui dans un discours se dit entre les lignes. Cette philosophie du service dont nous sommes à la recherche nous paraît se trouver plutôt dans l’atmosphère, un peu comme des molécules invisibles à l’œil nu, et plutôt que de les trouver écrites, on devrait se laisser imprégner en respirant l’air ambiant et en participant à nos réunions et discussions, le cœur ouvert et les sens éveillés.

Nous nous présentons toujours en disant que nous travaillons selon le modèle de la psychiatrie sociale. Mais c’est quoi au juste? Quelles sont ces valeurs qui sous-tendent cette pratique ?

Essayons de trouver des mots, petits pas par petits pas (et nous sommes déjà dans la même démarche que lors de la prise en charge d’un client) :

Nous voyons d’abord la personne en tant que sujet, avec sa biographie et ses expériences de vie, ses ressources et ses difficultés, ses projets et ses désillusions, ses espoirs et ses traumatismes, ses rêves et ses angoisses.

Nous n’oublions pas l’affection psychiatrique avec ses symptômes invalidants, ses contraintes et stigmatisations, ses conséquences sociales très lourdes, mais nous mettons notre focus et notre énergie sur autre chose, un peu comme si nous disions : « oui, évidemment il y a cette maladie (cette schizophrénie, dépression…), mais vous êtes surtout un être humain à part entière et être en contact avec vous en vaut la peine ».

C’est ainsi que nous essayons d’aider la personne à donner un sens à ce qui lui arrive et à l’inscrire dans le cours de sa vie. Pour nous, faire disparaître les symptômes à tout prix n’est pas toujours indiqué. Parfois, la maladie psychiatrique peut être interprétée comme seule échappatoire pour survivre à une situation insupportable.

Vous l’aurez compris : nous parlons d’autre chose que du modèle médical qui analyse les symptômes, pose un diagnostic et prescrit un traitement afin de faire disparaître les symptômes et de diminuer ainsi la souffrance de la personne (nos excuses pour ce raccourci simpliste). Nous sommes donc plus dans la subjectivité du client que dans l’objectivation des symptômes d’une maladie.

Nous sommes très attentifs afin de permettre aux clients de nouer une relation stable et transparente avec notre service. Selon notre philosophie, arriver à créer un lien stable avec la personne est un but en soi (et pas seulement le moyen pour atteindre d’autres objectifs). Ceci est certainement d’autant plus vrai pour ces clients qui par leurs antécédents familiaux et leur affection ont vécu de nombreux rejets et va-et-vient au niveau relationnel.

La relation qui nous lie au client doit avoir de nombreuses qualités. Nous modulons en permanence la distance, respectivement la proximité, pour être « à la bonne distance ». La bonne distance n’est pas trop proche (vécue comme invasive), ni trop lointaine (vécue comme rejetante). C’est compliqué et cela demande beaucoup de doigté et de sensibilité, l’appréciation est également subjective. Ce sont surtout les réactions du client qui nous guident et qui font que nous devons nous « ajuster » en permanence.

Une autre qualité de la relation est d’être vraie et authentique, ce qui ne doit pas être confondu avec dire tout ce qu’on a envie de dire ou avoir une attitude blessante parce qu’on est frustré par le comportement du client. Toute intervention (verbale et autre) est réfléchie, centrée sur le client avec son vécu et se fait dans l’intérêt de la personne.

Nous essayons bien sûr de structurer une prise en charge, d’intervenir d’une manière cohérente et structurée, mais nous tenons compte également de « l’imprévu ». Nous essayons de réagir de manière flexible et pragmatique. Comme il y a souvent plusieurs personnes de l’équipe qui assurent une prise en charge, nous avons la possibilité de « jouer » sur le cadre : une personne p.ex. le psychothérapeute assure un cadre plus structuré par des séances régulières au Centre tandis que le travailleur social p.ex. répond de manière plus spontanée et se déplace à domicile. Tous nos services acceptent les appels téléphoniques, beaucoup de clients téléphonent ou passent spontanément aux Centres pour nous parler, pour avoir notre avis ou pour être soutenus. C’est ici que la personne qui fait l’accueil au Centre de consultation est d’une importance capitale, mais c’est également vrai pour le reste de l’équipe. Ce sont souvent ces précieux petits moments plus informels qui font que le client « accroche » ou non et si une prise en charge porte ses fruits ou non. Nous jugeons que ces interventions informelles ne sont pas juste un « mal à accepter »  (elles amènent du chaos parce qu’un imprévu ne vient jamais au bon moment et jamais seul, cela, on peut vous le garantir), mais elles sont partie intégrante des prises en charge. Nous pensons que cette proximité est une des spécificités d’un service de psychiatrie sociale. Une autre spécificité est l’accessibilité, nous faisons de nombreuses visites à domicile et des accompagnements divers.

Une autre valeur que nous soutenons fortement est le respect, le respect de la personne, mais surtout de ses choix. (Oui, nous continuons à suivre la personne même si elle refuse toute prise de médicament ! Et oui, le client doit peut-être quitter son logement encadré parce qu’il ne se tient pas aux règles, mais cela n’arrête pas la prise en charge à d’autres niveaux !)

C’est dans une atmosphère d’acceptation et de tolérance que nous pensons qu’un changement peut survenir. Les clients se sentent souvent énormément sous pression : par la société, par la famille, par eux-mêmes. Nous essayons d’exercer le moins de pression possible (attention aux pressions « cachées » : les attentes de changement des professionnels pour ne pas les citer). Un aspect qui en découle est le rythme de la prise en charge. Si nous connaissons tous la maxime « de suivre le rythme du client », notre expérience nous a appris que professionnels motivés et dynamiques que nous sommes devons vraiment régler nos pendules à un autre rythme et nous armer de patience. C’est pourquoi beaucoup de nos prises en charge pluridisciplinaires s’inscrivent dans le long terme. L’empathie, la compréhension des difficultés du client, mais également de ses propres solutions sont essentielles pour avoir des attentes réalistes. Il est primordial de voir un sens dans la façon d’être du client, si différente soit-elle.

Touchons également un mot sur la confiance. Il n’y a pas de prise en charge possible sans un minimum de confiance, diriez vous. Souvent, ce minimum de confiance doit se développer, il n’est pas là d’office juste parce que nous sommes de bonne volonté, et ceci est certainement vrai pour ces clients qui ont vécu d’énormes traumatismes et qui n’ont plus confiance en personne. Ils n’ont surtout plus confiance en ces personnes qui, d’après eux, représentent cette même société qui les a tellement délaissés quand ils étaient dans le besoin. C’est pourquoi nous risquons par moments d’être dans le conflit et les cibles de l’agressivité qui nous touche personnellement bien qu’elle soit destinée à d’autres. Il faut alors pouvoir canaliser ces sentiments, mettre des mots dessus, comprendre le sens derrière ces comportements difficiles à gérer, surtout ne pas se laisser provoquer et se sentir blessé personnellement tout en se protégeant quand même. Il peut être judicieux d’en reparler avec le client quand la tempête est repartie. Ceci fait partie de notre attitude professionnelle. Un autre aspect important est d’être conscient du pouvoir qu’on a ou qu’on pourrait avoir, même malgré nous, sur le client, et d’être très attentif à ne pas en abuser. Il est primordial de travailler dans la transparence complète, pas d’interventions « derrière le dos » du client, et d’être attentif aux comportements de contrôle caché. Nous devons nous questionner constamment si derrière le discours d’aide ne se cache pas de manière subtile un certain désir de contrôle.

Et elle est où la thérapie dans tout cela ? C’est bien sûr une question pertinente. Un accent important est mis sur la psychothérapie, c’est-à-dire sur cet espace protégé entre le client et le psychothérapeute où des mots peuvent être mis sur bien des choses compliquées et de là peut se dégager un sens et un autre regard sur l’histoire du client au travers de la relation psychothérapeutique. Au niveau de l’équipe, il n’y a pas de référentiel théorique commun, chaque psychothérapeute travaille « selon son école », mais toujours selon les valeurs conceptuelles de l’association. La thérapie chez nous s’appelle plutôt « prise en charge globale » et elle est assurée par l’équipe pluridisciplinaire entière. Ce sont justement les valeurs de la psychiatrie sociale qui font l’union entre les différents modèles théoriques et les différentes disciplines professionnelles.

Cette prise en charge globale est comparable à un énorme puzzle, où les différentes interventions sont les morceaux du puzzle, ces morceaux peuvent être de taille et de forme bien différentes, mais ont chacun la même valeur. Il n’y a donc pas de hiérarchie dans les interventions (Attention ! Nous n’avons pas dit qu’il n’y a pas de hiérarchie dans le service !). Il n’y a pas d’intervention avec plus de valeur ou de prestige. Chaque contact et intervention a son sens et répond à un but même si c’est de manière indirecte. Tout n’est pas fait en même temps, l’équipe se donne des priorités. Et c’est également la responsabilité de l’équipe d’assembler ces morceaux de puzzle en un ensemble le plus cohérent possible. Oui, vous avez bien lu, c’est l’équipe et non le médecin lui tout seul.

Cette pluridisciplinarité est une affaire bien compliquée. D’un côté, elle offre une protection pour le client, qui n’a jamais affaire à une personne toute seule (parfois si, mais dans ce cas il y a toujours le regard des autres membres de l’équipe). D’un autre côté, elle offre également une protection à chaque membre du personnel, personne ne doit porter seul le poids d’une prise en charge difficile, toutes les décisions sont portées par toute l’équipe. L’équipe aide à garder une attitude professionnelle et à respecter des limites. La pluridisciplinarité est le garant de différents équilibres, notamment entre action et réflexion, entre interventionnisme et immobilité, entre un cadre trop rigide et trop large pour ne citer que quelques exemples. De manière générale, elle constitue un frein à toute position extrême. La pluridisciplinarité permet également à l’équipe d’augmenter son seuil de tolérance et de diminuer son seuil d’angoisse vis-à-vis de comportements difficiles des clients. Travailler en équipe amène également des défis : déjà, faut-il trouver des membres du personnel capables de s’intégrer et de s’épanouir dans une équipe (travailler justement sous le regard des autres surtout lors de situations éprouvantes demande bien des compétences sociales), il faut ensuite coordonner les différentes interventions et faire passer les informations. Notre équipe a choisi un mode de fonctionnement par réunions à différents niveaux et des rapports écrits accessibles à chaque membre de l’équipe.

Une autre caractéristique de notre manière de travailler est la prise en charge individualisée. Il n’y a jamais des réponses toutes faites à n’importe quelle question. Ce que l’équipe propose au client et à sa famille dépend toujours de la situation individuelle de celui-ci et des possibilités que nous avons. Un autre facteur important est l’aide que la personne est d’accord d’accepter. La mise en place d’un suivi est souvent liée à un processus de négociations entre les aides proposées par notre service et celles acceptées par le client. Pour utiliser une image, on pourrait dire que nous travaillons dans le « sur-mesure » avec tout ce qui en découle (le temps que cela prend, les essayages et les retouches nécessaires) et non dans le « prêt-à-porter ».

Nous soutenons la personne de manière à ce qu’elle puisse mener une vie autodéterminée avec un maximum de qualité de vie, ou devrions-nous dire, la plus autodéterminée possible par rapport à ses possibilités et par rapport à la réalité. Pour une personne avec une problématique psychiatrique, trouver sa place dans la société d’aujourd’hui est un grand défi. Certaines attentes et projets devront être relativisés, aussi bien par la personne concernée que par son entourage. Ceci implique souvent un accompagnement du client durant le processus douloureux de devoir accepter des limites, notamment celles induites par la maladie avec toutes les conséquences sociales qui en découlent. (Petite remarque entre nous : ce processus peut être également douloureux pour les professionnels qui se heurtent à leurs limites comme aidant : les moyens d’aide insuffisants, le refus des clients de se laisser aider, le manque de reconnaissance de la société ou pour toute autre raison). Ce n’est pas parce que nous sommes des professionnels de l’aide respectivement des thérapeutes qu’il nous revient de décider ce qui est bien pour l’autre. Notre rôle est d’accompagner la personne, si elle le souhaite, à trouver sa voie dans la vie et à faire ses propres choix, et puis surtout de l’aider à pouvoir les assumer.

Toute notre pratique s’inscrit dans un cadre, un cadre que nous voulons souple, mais contenant (et vous l’aurez compris) un cadre que nous adaptons au client, à sa situation unique et particulière et non l’inverse ! Parfois, le cadre est quasi « invisible », on pourrait nous reprocher qu’il n’y en a pas, mais il est là et il est même très solide. Cette solidité est en lien étroit avec notre approche pluridisciplinaire. Nous sommes en mesure d’offrir différents modes relationnels et différentes interactions à la personne, du fait que le suivi est généralement assuré par plusieurs intervenants, et même plusieurs centres.

Jusqu’à présent, nous n’avons parlé que de la dimension individuelle de notre travail. Pour finir, un petit mot sur un autre aspect de notre service. Notre association, conjointement avec les autres associations de l’extra-hospitalier, se bat auprès des autorités compétentes pour que les structures psychiatriques reçoivent les moyens nécessaires afin de pouvoir répondre aux besoins réels des personnes concernées. L’association participe au travail de réflexion à différents niveaux pour faire avancer l’infrastructure psychiatrique. Il reste de nombreux chantiers, et c’est important que les services qui ont l’expérience « de terrain » se fassent entendre auprès des décideurs politiques. Et ceci demande du know how,…  beaucoup d’énergie,… une longue haleine,… et encore une bonne dose de  patience.

Voilà, nous avons fait le tour des principales idées directrices qui sous-tendent notre pratique quotidienne, il y en a certainement encore d’autres, et mille autres façons de les exprimer !

Et pour vraiment terminer, citons encore quelques compétences indispensables dont ont besoin les membres de notre équipe : à côté de leurs compétences professionnelles bien sûr…

Par ordre alphabétique : capacité d’adaptation, courage et capacité de gérer ses peurs, capacité à travailler sous pression, créativité, empathie, engagement, esprit d’équipe, flexibilité, gestion autonome du travail, patience, persévérance et plus on a de ces compétences sociales (et de l’humour) mieux c’est !!

Et si l’on arrive à supporter le doute et les questionnements du genre : avons-nous bien fait, faisons-nous tout ce qui est nécessaire, ne faisons-nous pas trop, alors c’est parfait !